30 décembre
dans l’octave de Noël
& dimanche dans l’octave

Dom Guéranger ~ L’année liturgique
30 décembre, Sixième jour dans l’octave de Noël
Dimanche dans l’octave de Noël

Du temps de Dom Guéranger, les fêtes de l’octave du Noël avaient le pas sur le dimanche et, donc, le dimanche dans l’octave n’était célébré que s’il tombait le 30 décembre. Jean XXIII a restauré l’importance du dimanche qui est célébré quel que soit le jour de l’octave où il tombe. Le commentaire de Dom Guéranger suit les anciennes règles. Nous l’avons laissé intact et à la place originelle qu’il occupe dans l’œuvre de Dom Guéranger, chacun fera aisément la transposition. (Note de l’éditeur.)

De tous les jours de l’octave de Noël, c’est le seul qui ne soit pas occupé régulièrement par une fête. Dans les octaves de l’Épiphanie, de Pâques et de la Pentecôte, l’Église est tellement absorbée de la grandeur du mystère, qu’elle écarte tous souvenirs qui l’en pourraient distraire ; dans celle de Noël, au contraire, les fêtes abondent, et l’Emmanuel ne nous est montré qu’environné du cortège de ses serviteurs. Ainsi l’Église, ou plutôt Dieu même, le premier auteur du cycle, nous a voulu faire voir combien, dans sa Naissance, l’enfant divin, Verbe fait chair, se montre accessible à l’humanité qu’il vient sauver.

Nous avons démontré plus haut que la nativité du Sauveur s’est opérée le jour du dimanche, qui est celui où Dieu créa la lumière. Ce sera aussi le dimanche que nous verrons le Christ ressusciter. Ce premier jour de la création, qui est, en même temps, le premier jour de la semaine, était consacré au soleil chez les peuples anciens ; il est devenu sacré à jamais par le double lever du Soleil de justice : Noël et Pâques le réclament tour à tour. Mais, pour des raisons particulières que nous avons exposées, si Pâques est toujours célébré le dimanche, Noël doit sanctifier successivement tous les jours de la semaine. Toutefois, le mystère de la divine naissance est mieux exprimé dans les années où son glorieux anniversaire tombe le dimanche ; dans les autres où cette coïncidence n’a pas lieu, les fidèles doivent du moins un honneur particulier à celui des jours de l’octave qui se trouve dévolu à la célébration expresse du dimanche. La sainte Église a décoré celui-ci d’une messe et d’un office particuliers, que nous allons reproduire ici, pour l’usage des fidèles.

À la messe

Ce fut au milieu de la nuit que le Seigneur délivra son peuple de la captivité, par le passage de son ange, armé du glaive, sur la terre des Égyptiens ; c’est pareillement au sein du silence nocturne que l’ange du grand conseil est descendu de son trône royal, pour apporter la miséricorde sur la terre. Il est juste que l’Église, célébrant ce dernier passage, chante l’Emmanuel, revêtu de force et de beauté, qui vient prendre possession de son empire.

Introït

Tandis que le monde entier était enseveli dans le silence, et que la nuit était au milieu de sa course, votre Verbe tout-puissant, Seigneur, est descendu de son trône royal du ciel. Ps. Le Seigneur règne, il s’est revêtu de gloire : le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est armé. Gloire au Père. Tandis que le monde.

La sainte Église demande, dans la collecte, d’être dirigée par la règle souveraine qui a apparu dans notre divin Soleil de justice, afin d’éclairer et de conduire tous nos pas dans la voie des bonnes œuvres.

Collecte

Dieu tout-puissant et éternel, dirigez nos actions selon la règle de votre bon plaisir ; afin que nous méritions de produire les bonnes œuvres avec abondance, par le nom de votre Fils bien-aimé, qui vit et règne avec vous.

Lecture de l’épître du bienheureux Paul, apôtre, aux Galates. Ch. 4

Mes frères, tant que l’héritier est encore enfant, il n’est pas différent du serviteur, quoiqu’il soit le maître de tout ; mais il est sous la puissance des tuteurs et des curateurs, jusqu’au temps marqué par son père. Ainsi, lorsque nous étions encore enfants, nous étions assujettis aux premiers éléments de ce monde ; mais lorsque la plénitude du temps a été venue, Dieu a envoyé son Fils formé de la femme, et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, et pour nous rendre enfants d’adoption. Or, parce que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : « Père ! Père ! » Chacun de vous n’est donc plus serviteur, mais fils. Que s’il est fils, il est aussi héritier par la bonté de Dieu.

L’enfant, né de Marie, couché dans la crèche de Bethléhem, élève sa faible voix vers le Père des siècles, et il l’appelle mon Père ! Il se tourne vers nous, et il nous appelle mes frères ! Nous pouvons donc aussi, en nous adressant à son Père éternel, le nommer notre Père. Tel est le mystère de l’adoption divine, déclarée en ces jours. Toutes choses sont changées au ciel et sur la terre : Dieu n’a plus seulement un Fils, mais plusieurs fils ; nous ne sommes plus désormais, en sa présence, des créatures qu’il a tirées du néant, mais des enfants de sa tendresse. Le ciel n’est plus seulement le trône de sa gloire ; il est devenu notre héritage ; et une part nous y est assurée à côté de celle de notre frère Jésus, fils de Marie, fils d’Ève, fils d’Adam selon l’humanité, comme il est, dans l’unité de personne, Fils de Dieu selon la divinité. Considérons tour à tour l’enfant béni qui nous a valu tous ces biens, et l’héritage auquel nous avons droit par lui. Que notre esprit s’étonne d’une si haute destinée pour des créatures ; que notre cœur rende grâces pour un bienfait si incompréhensible.

Graduel

Vous surpassez en beauté tous les enfants des hommes, ô Emmanuel ! la grâce est répandue sur vos lèvres. V/. Mon cœur éclate en un cantique excellent ; c’est à la gloire du Christ Roi que je dédie mes chants. Que ma langue soit semblable à la plume de l’écrivain dont la main est rapide.

Alleluia, alleluia. V/. Le Seigneur règne, il s’est revêtu de gloire : le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est armé. Alleluia.

Évangile
La suite du saint évangile selon saint Luc. Chap. 2

En ce temps-là, Joseph et Marie, mère de Jésus, étaient dans l’admiration de ce qu’on disait de lui. Et Siméon les bénit, et il dit à Marie sa mère : Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël. Et il sera un signe de contradiction ; et un glaive transpercera votre âme, afin que les pensées de plusieurs, qui sont cachées au fond de leur cœur, soient découvertes. Il y avait aussi une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser ; elle était fort avancée en âge, et après avoir vécu sept ans avec son mari, qu’elle avait épousé étant vierge, elle était demeurée veuve jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne sortait pas du temple, servant Dieu nuit et jour, dans les jeûnes et les prières. Étant donc survenue à la même heure, elle se mit à louer le Seigneur et à parler de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption d’Israël. Et après qu’ils eurent accompli toutes choses selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur cité de Nazareth. Or, l’enfant croissait et se fortifiait, étant rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui.

La marche des récits du saint évangile contraint l’Église à nous présenter déjà le divin enfant entre les bras de Siméon, qui prophétise à Marie les destinées de l’homme qu’elle a mis au jour. Ce cœur de mère, tout inondé des joies d’un si merveilleux enfantement, sent déjà le glaive annoncé par le vieillard du temple. Le fils de ses entrailles ne sera donc, sur la terre, qu’un signe de contradiction ; et le mystère de l’adoption du genre humain ne devra s’accomplir que par l’immolation de cet enfant devenu un homme. Pour nous, rachetés par ce sang, n’anticipons pas trop sur l’avenir. Nous aurons le temps de le considérer, cet Emmanuel, dans ses labeurs et dans ses souffrances ; aujourd’hui, il nous est permis de ne voir encore que l’enfant qui nous est né, et de nous réjouir dans sa venue. Écoutons Anne, qui nous parlera de la rédemption d’Israël. Voyons la terre régénérée par l’enfantement de son Sauveur ; admirons et étudions, dans un humble amour, ce Jésus plein de sagesse et de grâce qui vient de naître sous nos yeux.

Pendant l’offrande, l’Église célèbre le renouvellement merveilleux qui s’opère en ce monde et qui l’arrache à sa ruine ; elle exalte le grand Dieu qui est descendu dans l’étable, sans quitter son trône éternel.

Offertoire

Dieu a affermi la terre ; elle ne sera point ébranlée ; votre trône, ô Dieu ! est préparé dès l’éternité ; vous étiez avant les siècles.

Secrète

Faites, s’il vous plaît, ô Dieu tout-puissant ! que cette offrande que nous mettons sous les yeux de votre majesté, nous obtienne la grâce d’une pieuse dévotion, et nous acquière la récompense d’une éternité heureuse. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Les mémoires des quatre octaves ci-dessus.

Pendant qu’elle distribue la nourriture sacrée aux fidèles, l’Église chante les paroles de l’ange à Joseph. Elle leur donne cet enfant, afin qu’ils l’emportent dans leurs cœurs, et leur recommande, de le sauver des embûches que lui tendent ses ennemis. Que le chrétien prenne donc garde qu’il ne lui soit ravi ; par sa vigilance, par ses bonnes œuvres, qu’il anéantisse de plus en plus le péché qui voudrait faire mourir Jésus dans son âme. C’est pourquoi, dans l’oraison qui vient après, l’Église demande l’extinction de nos vices et l’accomplissement de nos désirs de vertu.

Communion

Prends l’enfant et sa mère, et va dans la terre d’Israël ; car ils sont morts, ceux qui poursuivaient la vie de l’enfant.

Postcommunion

Faites, Seigneur, par l’opération de ce mystère, que nos vices soient effacés, et nos justes désirs accomplis. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Considérons, dans ce sixième jour de la naissance de notre Emmanuel, le divin enfant étendu dans la crèche d’une étable, et réchauffé par l’haleine de deux animaux. Isaïe l’avait annoncé : Le bœuf, avait-il dit, connaîtra son maître, et lâne la crèche de son Seigneur ; Israël ne me connaîtra pas [1]. Telle est l’entrée en ce monde du grand Dieu qui a fait ce monde. L’habitation des hommes lui est fermée par leur dureté et leur mépris : une étable lui offre seule un abri hospitalier, et il vient au jour dans la compagnie des êtres dépourvus de raison.

Mais ces animaux sont son ouvrage. Il les avait assujettis à l’homme innocent. Cette création inférieure devait être vivifiée et ennoblie par l’homme ; et le péché est venu briser cette harmonie. Toutefois, comme nous l’enseigne l’apôtre, elle n’est point restée insensible à la dégradation forcée que le pécheur lui fait subir. Elle ne se soumet à lui qu’avec résistance [2] ; elle le châtie souvent avec justice ; et au jour du jugement, elle s’unira à Dieu pour tirer vengeance de l’iniquité à laquelle trop longtemps elle est demeurée asservie [3].

Aujourd’hui, le Fils de Dieu visite cette partie de son œuvre ; les hommes ne l’ayant pas reçu, il se confie à ces êtres sans raison ; c’est de leur demeure qu’il partira pour commencer sa course ; et les premiers hommes qu’il appelle à le reconnaître et à l’adorer, sont des pasteurs de troupeaux, des cœurs simples qui ne se sont point souillés à respirer l’air des cités.

Le bœuf, symbole prophétique qui figure auprès du trône de Dieu dans le ciel, comme nous l’apprennent à la fois Ézéchiel et saint Jean, est ici l’emblème des sacrifices de la loi. Sur l’autel du temple, le sang des taureaux a coulé par torrents ; hostie incomplète et grossière, que le monde offrait dans l’attente de la vraie victime. Dans la crèche, Jésus s’adresse à son Père et dit : Les holocaustes des taureaux et des agneaux ne vous ont point apaisé ; me voici [4].

Un autre prophète annonçant le triomphe pacifique du roi plein de douceur, le montrait faisant son entrée dans Sion sur l’âne et le fils de l’ânesse [5]. Un jour cet oracle s’accomplira comme les autres ; en attendant, le Père céleste place son Fils entre l’instrument de son pacifique triomphe et le symbole de son sacrifice sanglant.

Telle a donc été, ô Jésus ! créateur du ciel et de la terre, votre entrée dans ce monde que vous avez formé. La création tout entière, qui eût dû venir à votre rencontre, ne s’est pas ébranlée ; aucune porte ne vous a été ouverte ; les hommes ont pris leur sommeil avec indifférence, et lorsque Marie vous eut déposé dans une crèche, vos premiers regards y rencontrèrent les animaux, esclaves de l’homme. Toutefois, cette vue ne blessa point votre cœur ; vous ne méprisez point l’ouvrage de vos mains ; mais ce qui afflige ce cœur, c’est la présence du péché dans nos âmes, c’est la vue de votre ennemi qui tant de fois est venu y troubler votre repos. Nous serons fidèles, ô Emmanuel, à suivre l’exemple de ces êtres insensibles que nous recommande votre prophète : nous voulons toujours vous reconnaître comme notre maître et notre Seigneur. C’est à nous qu’il appartient de donner une voix à toute la nature, de l’animer, de la sanctifier, de la diriger vers vous ; nous ne laisserons plus le concert de vos créatures monter vers vous, sans y joindre désormais l’hommage de nos adorations et de nos actions de grâces.

Pour rendre nos hommages au divin enfant, insérons ici cette séquence qui est d’Adam de Saint-Victor, et l’une des plus mystérieuses que l’on rencontre dans les missels du moyen âge.

Séquence

Celui qui est la splendeur du Père et sa forme incréée, a pris la forme de l’homme.

Sa puissance, et non la nature, a rendu féconde une vierge.

Que le vieil Adam se console enfin ; qu’il chante un cantique nouveau.

Longtemps fugitif et captif, qu’il paraisse au grand jour.

Ève enfanta le deuil ; une vierge, dans l’allégresse, enfante le fruit de vie.

Et ce fruit n’a point lésé le sceau de sa virginité.

Si le cristal humide est offert aux feux du soleil, le rayon scintille au travers ;

Et le cristal n’est point rompu : ainsi n’est point brisé le sceau de la pudeur dans l’enfantement de la Vierge.

À cette naissance, la nature est dans l’étonnement, la raison est confondue.

C’est chose inénarrable, cette génération du Christ, si pleine d’amour et si humble.

D’une branche aride sont sorties la feuille, la fleur et la noix ; et de la Vierge pudique, le Fils de Dieu.

La toison a porté la rosée céleste, la créature le Créateur, rédempteur de la créature.

La feuille, la fleur, la noix, la rosée : emblèmes mystérieux de l’amour du Sauveur.

Le Christ est la feuille qui protège, la fleur qui embaume, la noix qui nourrit, la rosée de céleste grâce.

Pourquoi l’enfantement de la Vierge est-il un scandale au Juif, quand il a vu l’amandier fleurir sur une verge desséchée ?

Contemplons encore la noix ; car la noix, mise en lumière, offre un mystère de lumière.

En elle trois choses sont réunies ; elle nous présente trois bienfaits : onction, lumière, aliment.

La noix est le Christ ; l’écorce amère de la noix est la croix dure à la chair ; l’enveloppe marque le corps.

La divinité, revêtue de chair, la suavité du Christ, c’est le fruit caché dans la noix.

Le Christ, c’est la lumière des aveugles, l’onction des infirmes, le baume des cœurs pieux.

Oh ! qu’il est suave, ce mystère qui change la chair, cette herbe fragile, en divin froment pour les fidèles !

Ceux que, dans cette vie, tu nourris, ô Jésus ! sous les voiles de ton sacrement, rassasie-les un jour de l’éclat de ta face.

Coéternelle splendeur du Père, enlève-nous de ce séjour jusqu’aux joies des clartés paternelles.

Amen.

L’Église syrienne, ayant pour chantre saint Éphrem, nous offre cette hymne du saint diacre d’Édesse, à laquelle nous empruntons les strophes suivantes :

Hymne

Quel mortel saura jamais le nom qu’il faut donner, Seigneur, à celle qui fut ta mère ? Vierge ? Son fils était sous les yeux de tous. Épouse ? Nul ne célébra jamais les noces charnelles avec Marie.

L’intelligence ne peut atteindre jusqu’à ta mère : qui donc pourrait te comprendre toi-même ? Si je considère Marie seule en ce monde, elle est ta mère : si je la confonds avec le reste des femmes, elle est ta sœur.

Oui, elle est vraiment ta mère, et parmi les chœurs des saintes femmes, elle est ta sœur et ton Épouse ; tu l’as honorée en toutes manières, toi, la gloire de celle qui t’enfanta.

Elle te fut donnée pour épouse avant ta venue en ce monde ; tu vins, et elle te conçut ; tout surpasse, en ce mystère, les forces de la nature : et son enfantement, et la permanence de son titre virginal.

Marie connut toutes les prérogatives de l’épouse. Sans le secours de l’homme, son fils s’anima dans son sein ; le lait des mères abonda dans ses mamelles. Tu dis, et aussitôt cette blanche fontaine jaillit, comme une source, du sein d’une terre altérée.

Soutenue par ta présence au milieu d’elle-même, ta mère trouva des forces pour te porter, et ce fardeau ne l’écrasa jamais ; elle t’offrit la nourriture, à toi qui voulais avoir faim ; elle te présenta le breuvage, à toi qui, volontairement, connaissais la soif. Désirait-elle te presser contre son cœur ? Ta tendresse lui accordait cette faveur. Tu daignais alors tempérer l’ardeur de tes feux, pour ne pas consumer sa poitrine.

[1]               1, 3.

[2]              Rom. 8, 20.

[3]              Sap. 5, 21.

[4]              Hébr. 10, 6.

[5]              Zachar. 9, 9.