1er novembre
Fête de tous les saints

Dom Guéranger ~ L’Année liturgique
1er novembre, fête de tous les saints

Je vis une grande multitude que nul ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de toute langue ; elle se tenait devant le trône, vêtue de robes blanches, des palmes à la main ; de ses rangs s’élevait une acclamation puissante : Gloire à notre Dieu (Apoc. 7, 9-10) !

Le temps n’est plus ; c’est l’humanité sauvée qui se découvre aux yeux du prophète de Pathmos. Vie militante et misérable de cette terre (Job 7, 1), un jour donc tes angoisses auront leur terme. Notre race longtemps perdue renforcera les chœurs des purs es­prits que la révolte de Satan affaiblit jadis ; s’unissant à la recon­naissance des rachetés de l’Agneau, les Anges fidèles s’écrie­ront avec nous : Action de grâces, honneur, puissance à notre Dieu pour jamais (Apoc. 7, 11-14)!

Et ce sera la fin, comme dit l’Apôtre (1 Cor. 15, 24) : la fin de la mort et de la souffrance ; la fin de l’histoire et de ses révolutions désormais expliquées. L’ancien ennemi, rejeté à l’abîme avec ses partisans, ne subsistera plus que pour attester sa défaite éternelle. Le Fils de l’homme, libérateur du monde, aura remis l’empire à Dieu son Père. Terme suprême de toute création, comme de toute rédemption : Dieu sera tout en tous (Ibid. 24-28).

Bien avant le voyant de l’Apocalypse, déjà Isaïe chantait : J’ai vu le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime ; les franges de son vêtement remplissaient au-dessous de lui le temple, et les Séraphins criaient l’un à l’autre : Saint, Saint, Saint, le Seigneur des armées ; toute la terre est pleine de sa gloire (Isaï. 6, 1-3).

Les franges du vêtement divin sont ici les élus, devenus l’orne­ment du Verbe, splendeur du Père (Héb. 1, 5). Car depuis que, chef de notre humanité, le Verbe l’a épousée, cette épouse est sa gloire, comme il est celle de Dieu (1 Cor. 11, 7). Elle-même cepen­dant n’a d’autre parure que les vertus des Saints (Apoc. 19, 8) : parure éclatante, dont l’achèvement sera le signal de la consom­ma­tion des siècles. Cette fête est l’annonce toujours plus instante des noces de l’éternité ; elle nous donne à célébrer chaque année le progrès des apprêts de l’Épouse (Apoc. 19, 7).

Heureux les conviés aux noces de l’Agneau (Ibid. 9) ! Heureux nous tous, à qui la robe nuptiale de la sainte charité fut remise au baptême comme un titre au banquet des cieux ! Préparons-nous, comme notre Mère l’Église, à l’ineffabte destinée que nous réserve l’amour. C’est à ce but que tendent les labeurs d’ici-bas : travaux, luttes, souffrances pour Dieu, relèvent d’inestimables joyaux le vêtement de la grâce qui fait les élus. Bienheureux ceux qui pleu­rent (s. Matth. 5, 5) !

Ils pleuraient, ceux que le Psalmiste nous montre creusant avant nous le sillon de leur carrière mortelle (Psalm. 125), et dont la triomphante allégresse déborde sur nous, projetant à cette heure comme un rayon de gloire anticipée sur la vallée des larmes. Sans attendre au lendemain de la vie, la solennité commencée nous donne entrée par la bienheureuse espérance au séjour de lumière où nos pères ont suivi Jésus, le divin avant-coureur (Héb. 6, 19-20). Quelles épreuves n’apparaîtraient légères, au spectacle des éternelles félicités dans lesquelles s’épanouissent leurs épines d’un jour ! Larmes versées sur les tombes qui s’ouvrent à chaque pas de cette terre d’amertume, comment le bonheur des chers disparus ne mêlerait-il pas à vos regrets la douceur du ciel ? Prêtons l’oreille aux chants de délivrance de ceux dont la sépara­tion momentanée attire ainsi nos pleurs ; petits ou grands (Apoc. 19,5), cette fête est la leur, comme bientôt elle doit être la nôtre. En cette saison où prévalent les frimas et la nuit, la nature, délais­sant ses derniers joyaux, semble elle-même préparer le monde à son exode vers la patrie sans fin.

Chantons donc nous aussi, avec le Psaume : « Je me suis réjoui de ce qui m’a été dit : Nous irons dans la maison du Seigneur. Nos pieds ne sont encore qu’en tes parvis, mais nous voyons tes accroissements qui ne cessent pas, Jérusalem, ville de paix, qui te construis dans la concorde et l’amour. L’ascension vers toi des tribus saintes se poursuit dans la louange ; tes trônes encore inoc­cupés se remplissent. Que tous les biens soient pour ceux qui t’aiment, ô Jérusalem ; que la puissance et l’abondance règnent en ton enceinte fortunée. À cause de mes amis et de mes frères qui déjà sont tes habitants, j’ai mis en toi mes complaisances ; à cause du Seigneur notre Dieu dont tu es le séjour, j’ai mis en toi tout mon désir (Psalm. 121). »

Aux premières vêpres

Les cloches ont retenti, non moins joyeuses qu’aux plus beaux jours. Elles annoncent la grande solennité du Cycle à son déclin, la fête qui marque l’empreinte de l’éternité sur les temps, la prise de possession pour Dieu de l’année qui finit, joignant sa moisson d’élus à celles de ses devancières. Aux triomphantes volées rem­plissant l’air de leurs ondes harmonieuses, l’Église, qui depuis le matin jeûnait prosternée, se relève le front dans la lumière : elle pénètre avec Jean les secrets des cieux ; et les paroles du disciple bien-aimé, passant par ses lèvres, y revêtent un accent d’enthousiasme incomparable Cette fête est vraiment pour elle le triomphe de la Mère ; car la foule immense et bienheureuse, aper­çue par elle près du trône de l’Agneau, se compose des fils et des filles que seule, comme étant l’unique (Cant. 6, 8), elle a don­nés au Seigneur.

  1. Ant. J’ai vu devant le trône une grande multitude, de toutes nations, que nul ne pouvait compter.

Psaumes du dimanche, sauf le dernier.

Près de ses fils glorifiés, l’Église voit les Anges, nobles natures dont l’attitude devant Dieu, la liturgie grandiose, l’adoration anéantie, ravissent son cœur. Et elle en redit le spectacle à ceux des siens qui militent encore avec elle ici-bas.

  1. Ant. Et autour du trône, debout se tenaient tous les Anges, et ils se prosternèrent devant le trône, et ils adorèrent Dieu.

Mais l’hommage et les chants des célestes Principautés, qui jamais ne s’interrompirent, ne sont plus seuls à rendre au Très-Haut la gloire à lui due dans son temple éternel. Comme, dans un chœur nombreux, une mère distingue entre toutes la voix de son enfant, l’Église tressaille en entendant la race élue qu’elle a nour­rie pour l’Époux faire sa partie dans le concert des cieux, et célé­brer l’Agneau dont le sang fut le prix de notre entrée bienheu­reuse au royaume de Dieu.

  1. Ant. Seigneur Dieu, vous nous avez rachetés en votre sang, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, de toute nation, et vous avez fait de nous le royaume de notre Dieu.

C’est la vraie joie, l’ineffable consolation de ce jour. Aussi la grande exilée ne se tient pas d’adresser aux Saints un appel brû­lant à plus de zèle, s’il se peut encore, pour louer le Seigneur Époux : « Soyez heureux, vous tous, et le célébrez ! » s’écrie-t-elle de la vallée des larmes, empruntant les paroles de Tobie dans la terre de sa captivité (Tob. 13, 7-10).

  1. Ant. Bénissez le Seigneur, vous tous ses élus ; coulez des jours heureux, et chantez ses louanges.

Louer Dieu sans trêve : part des Saints, bon partage d’Israël en la vraie Sion (Psalm. 148, 14 ; 149, 9) ! l’Église en son transport ne se lasse point d’exalter cette part glorieuse, la meilleure part, privi­lège de quelques-uns sur la terre, partage de tous dans la patrie.

  1. Ant. Chanter, c’est le partage de tous ses Saints, des en­fants d’Israël, du peuple formant sa cour ; oui, c’est la gloire de tous ses Saints.

Psaume 116

Toutes les nations, louez le Seigneur ; tous les peuples, pro­clamez sa gloire.

Car sa miséricorde s’est affermie sur nous, et la vérité du Sei­gneur demeure éternellement.

Nulle puissance ne saurait amoindrir la gloire de la cité sainte, ou diminuer d’une unité le nombre de ses fortunés habitants, tel que le fixèrent avant tous les âges les conseils du Très-Haut. Si ce monde a trop mérité la colère, il ne finira pourtant qu’après avoir donné au ciel le dernier des élus. C’est ce qu’exprime au vif le Capitule, tiré de l’Apocalypse.

Capitule (Apoc. 7)

Moi Jean, je vis un autre Ange qui montait à l’Orient ; il por­tait le signe du Dieu vivant, et il cria d’une voix forte aux quatre Anges investis de la mission de frapper la terre et la mer, disant : Ne frappez pas la terre et la mer, ni les arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu.

Rhaban-Maur, abbé de Fulda et archevêque de Mayence, est l’auteur présumé de l’Hymne qui suit. La « gent perfide » qu’on y demande à tous les bienheureux de chasser loin des terres chré­tiennes, c’était, au 9e siècle, la race des Normands infidèles qui couvraient de sang et de ruines l’empire des faibles successeurs de Charlemagne. L’éclatante conversion des farouches destructeurs fut la réponse des Saints. Puissent-ils toujours exaucer de la sorte l’Église, éclairer comme alors ceux qui l’attaquent sans la connaî­tre, faire d’eux ses plus fermes soutiens.

Hymne

Christ, soyez propice à vos indignes serviteurs ; implorant la clémence du Père, la Vierge se fait leur avocate au tribunal de votre grâce.

Bienheureuses phalanges aux neuf ordres distincts, écartez les maux du passé, ceux du présent, ceux de l’avenir.

Prophètes et vous, Apôtres, qui voyez la sincérité de nos pleurs, apaisez la colère du Juge, obtenez le pardon pour nos crimes.

Martyrs à la pourpre éclatante, Confesseurs à la blanche cou­ronne, appelez-nous de l’exil dans la patrie.

Chœur si chaste des Vierges, vous aussi pour qui le désert fut le chemin des cieux, donnez-nous place au bienheureux séjour.

Du pays des chrétiens, chassez la nation perfide : qu’unique soit pour tous le bercail sous la houlette de l’unique pasteur.

Soit gloire à Dieu le Père, au Fils unique, au Saint-Esprit, dans les siècles éternels.

Amen

V/. Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur et tressaillez. R/. Glorifiez-vous en lui, vous tous qui avez le cœur droit.

Tous les chœurs angéliques, tous les ordres des Saints reçoivent, en l’Antienne de Magnificat, l’hommage de la prière de l’Église, comme tous vont avec elle exalter la Reine de la terre et des cieux reprenant pour tous son glorieux Cantique.

Antienne de Magnificat

Anges, Archanges, Trônes et Dominations, Principautés et Puissances, Vertus des cieux, Chérubins et Séraphins, Patriarches et Prophètes, saints Docteurs de la loi, Apôtres, vous tous, Martyrs du Christ, saints Confesseurs, Vierges du Seigneur, Anachorètes, et tous les Saints, intercédez pour nous.

Le Cantique Magnificat.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui nous donnez de célébrer dans une seule solennité les mérites de tous vos Saints ; nous vous en supplions : daignez octroyer à tant d’intercesseurs priant ensemble pour nous l’objet de notre désir, une miséri­corde surabondante. Par Jésus-Christ.

Commentaire sur la fête

Lorsque Rome eut achevé la conquête du monde, elle dédia le plus durable monument de sa puissance à tous les dieux. Le Panthéon devait attester à jamais la reconnaissance de la cité reine. Cependant conquise elle-même au Christ et investie par lui de l’empire des âmes, son hommage se détourna des vaines idoles pour aller aux Martyrs, qui, priant pour elle en mourant de sa main, l’avaient seuls faite éternelle. Ce fut à eux et à leur reine, Marie, qu’au lendemain des invasions qui l’avaient châtiée sans la perdre, elle consacra, cette fois pour toujours, le Panthéon devenu chrétien.

« Levez-vous, Saints de Dieu ; venez au lieu qui vous fut préparé (Pontifical, rom. Antienne pour la dédicace des églises). » Trois siècles durant, les catacombes restèrent le rendez-vous des athlè­tes du Seigneur au sortir de l’arène. Rome doit à ces vaillants un triomphe mieux mérité que ceux dont elle gratifia ses grands hommes d’autrefois. En 312 pourtant, Rome, désarmée mais non encore changée dans son cœur, n’était rien moins que disposée à saluer de ses applaudissements les vainqueurs des dieux de l’Olympe et du Capitule. Tandis que la Croix forçait ses remparts, la blanche légion (Hymn. Ambros.) ! demeura cantonnée dans les retranchements des cimetières souterrains qui, comme autant de travaux d’approche, bordaient toutes les routes conduisant à la ville des Césars. Trois autres siècles étaient laissés à Rome pour satisfaire à la justice de Dieu, et prendre conscience du salut que lui ménageait la miséricorde. En 609. le patient travail de la grâce était accompli. Des lèvres de Boniface IV, Pontife suprême, des­cendait sur les cryptes sacrées le signal attendu.

Heure solennelle, prélude de celle que la trompette de l’Ange doit un jour annoncer par les sépulcres de l’univers (Séqu. Dies irae) ! C’est dans la majesté apostolique, c’est entouré d’un peuple im­mense, que le successeur de Pierre, que l’héritier du crucifié de Néron, se présente aux portes des catacombes. Ornés avec magni­ficence, vingt-huit chars l’accompagnent, et il convie à y monter les Martyrs. L’antique voie triomphale s’ouvre devant les Saints ; les fils des Quirites chantent à leur honneur : « Votre sortie sera heureuse, votre marche toute de joie ; car voici que tressaillent les monts, les collines fameuses, qui vous attendent en allégresse (Pontifical, rom. Ant. in Eccl. dedicatione). Paraissez, Saints de Dieu ; quittez vos postes de combat ; entrez dans Rome, devenue la cité sainte ; bénissez le peuple romain, qui vous suit au temple de ses fausses divinités devenu votre église, pour y adorer avec vous la majesté du Seigneur (Ex eodem, ibid. fere ad ver­bum). »

Après six siècles de persécutions et de ruines, le dernier mot res­tait donc aux Martyrs : mot de bénédiction, signal de grâces pour la Babylone ivre naguère du sang chrétien (Apoc. 27, 6). Mieux que réhabilitée par l’accueil qu’elle faisait aux témoins du Christ, elle n’était plus Rome seulement, mais la nouvelle Sion, la privilé­giée du Seigneur. L’encens qu’elle brûlait sous les pas des Saints, rappelait celui dont ils avaient refusé l’hommage à ses dieux de mensonge ; l’autel au pied duquel leur sang avait coulé, était celui-là même où elle les invitait à prendre la place des usurpa­teurs enfuis à l’abîme. Bien inspirée fut-elle, quand le temple édi­fié par Marcus Agrippa, restauré par Sévère Auguste, étant de­venu celui des saints Martyrs, elle crut devoir maintenir à son fronton le nom des constructeurs primitifs et l’appellation qu’ils lui avaient donnée ; l’insigne monument ne justifia son titre qu’à dater de la mémorable journée où, sous sa voûte incomparable, image du ciel, Rome chrétienne put appliquer aux hôtes nouveaux du Panthéon la parole du Psaume : J’ai dit : c’est vous les dieux (Psalm. 81, 6) ! C’était le 13 mai, qu’avait eu lieu la prise de pos­session triomphale.

Toute dédicace sur terre rappelle à l’Église, ainsi qu’elle le dit elle-même, l’assemblée des Saints, pierres vivantes de l’éternelle demeure que Dieu se construit aux cieux (Collecta in die Dedica­tionis Altaris ; Postcomm. Anniv. Ded. Eccl.). On s’étonnera d’autant moins que la Dédicace du Panthéon d’Agrippa, dans les circonstances que nous avons rapportées, soit devenue la pre­mière origine de la fête de ce jour (Martyrolog. ad hanc. diem.). Son anniversaire, en ramenant la mémoire collective des Martyrs, donnait satisfaction à l’Église qui, désireuse d’honorer annuelle­ment tous ses bienheureux fils morts pour le Seigneur, se vit de bonne heure réduite par leur nombre à l’impuissance de célébrer chacun d’eux au jour de son glorieux trépas. Or, au culte des Martyrs s’était joint pour elle, à l’âge de la paix, celui des justes qui, l’arène sanglante désormais fermée, se sanctifiaient chaque jour dans tous les héroïsmes offerts par ailleurs au courage chré­tien ; la pensée de les associer aux premiers dans une solennité commune, qui suppléerait pour tous à la nécessité des omissions individuelles, naquit comme spontanément de l’initia­tive que Boniface IV avait prise.

En 732, dans la première moitié de ce huitième siècle qui fut si grand pour l’Église, Grégoire III dédiait, à Saint-Pierre du Vati­can, un oratoire en l’honneur du Sauveur, de sa sainte Mère, des saints Apôtres, de tous les saints Martyrs, Confesseurs, Justes parfaits qui reposent par toute la terre (Liber pontific. in Gregorio III).Une dédicace au vocable si étendu n’implique pas de soi l’établissement de notre fête même de tous les Saints par l’illustre Pontife ; il est à remarquer cependant qu’à dater de cette époque, on commence à la rencontrer en diverses églises, et fixée dès lors au premier jour de novembre, comme en témoignent pour l’Angleterre le Martyrologe du Vénérable Bède et le Ponti­fical d’Egbert d’York. Elle était loin toutefois d’être universelle, lorsqu’en l’année 835, Louis le Débonnaire, sollicité par Grégoire IV, et du consentement de tous les évêques de ses états, fit de sa célébration une loi d’empire : loi sainte, portée aux applaudisse­ments de l’Église entière qui l’adopta comme sienne, dit Adon, avec révérence et amour (Ado, Martyrol.).

Il existait jusque-là, dans nos contrées, une coutume attestée par les conciles d’Espagne et de Gaule dès le 6e siècle (Concil. Gerund. an. 567, can. 3 ; Lugdun. 2, an. 367, can. 6), et qui consistait à sanctifier l’époque des calendes de novembre par trois jours de pénitence et de litanies, rappelant les Rogations qui précèdent encore l’Ascension du Seigneur. Le jeûne de la Vigile de la Toussaint est le seul souvenir qui nous reste maintenant de cette coutume de nos pères ; conservant le triduum pénitentiel, et l’avançant de quelques jours, ils en avaient fait une préparation de la fête elle-même : « Qu’entière soit notre dévotion, recom­mandait un auteur du temps ; disposons-nous à cette solennité très sainte par trois jours de jeûne, de prière et d’aumône (Inter Opera Alcuini, Epist. 91, ad calcem). »

En s’étendant au monde entier, la fête s’était complétée ; devenue l’égale des plus augustes solennités, elle développait ses horizons jusqu’à l’infini, embrassait toute sainteté incréée ou créée. Son objet n’était plus Marie seulement et les Martyrs, ou tous les justes nés d’Adam, mais avec eux les neuf chœurs angéliques, mais par dessus tout la Trinité sainte, Dieu tout en tous (1 Cor. 15, 28), Roi de ces rois qui sont les Saints (Apoc. 5, 10), Dieu des dieux en Sion (Psalm. 83, 8). Écoutons l’Église éveillant aujourd’hui ses fils : Le Roi des rois, le Seigneur, venez, adorons-le, parce qu’il est la couronne de tous les Saints (Invitator. festi). C’est l’invitation qu’en cette même nuit le Seigneur lui-même adressait à la chantre d’Helfta, Mechtilde, la privilégiée du divin Cœur : « Loue-moi de ce que je suis la couronne de tous les Saints (Liber specialis gratiae, P. 1, c. 31). » Et la vierge voyait toute la beauté des élus et leur gloire s’alimenter au sang du Christ, briller des vertus par lui pratiquées ; et répondant à l’appel divin, elle louait tant qu’elle pouvait la très heureuse, la toujours adorable Trinité, de ce qu’elle daigne être aux Saints leur diadème, leur admirable dignité (Ibid.). Dante lui aussi nous montre, en l’empyrée, Béatrice se faisant sa couronne du reflet des rayons éternels (Dante, Paradis, chant 31). Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit ! ainsi tout d’une voix, pour le sublime poète, chantait le Paradis. « Tout l’univers, dit-il, me semblait un sourire (Chant 27). Le royaume d’allégresse, avec tout son peuple ancien et nouveau, tourné vers un seul point, était tout regard, tout amour. Ô triple lumière, qui scintillant en une seule étoile, rassasies à ce point leur vue, regarde ici-bas à nos tempêtes (Chant 31, traduction de Mesnard) ! »

Autres liturgies

L’ancien Office de la fête offrit jusqu’au 16e siècle, en beaucoup d’Églises, cette particularité qu’aux nocturnes la première antienne, la première bénédiction, la première leçon et le premier répons étant de la Trinité, la deuxième série des mêmes pièces liturgiques avait pour objet Notre-Dame, la troisième les Anges, la quatrième les Patriarches et les Prophètes, la cinquième les Apôtres, la sixième les Martyrs, la septième les Confesseurs, la huitième les Vierges, la neuvième tous les Saints. En raison de cette disposition spéciale au jour, la première Leçon revenait contre l’usage du reste de l’année au plus digne du Chœur, le premier Répons était réservé aux premiers Chantres ; et ainsi arrivait-on, par une progression descendante, jusqu’aux enfants, dont l’un donnait la Leçon des Vierges, et cinq autres, vêtus de blanc, cierges à la main en mémoire des vierges prudentes, exécutaient le huitième Répons devant l’autel de Notre-Dame ; la neuvième Leçon et le neuvième Répons revenaient à des prêtres. Toutes ou presque toutes ces formules ont été successivement modifiées ; mais l’attribution des Répons actuels est toujours la même.

On sera heureux de trouver ici les Antiennes et Répons primitifs, auxquels se réfèrent les visions des Saints de cet âge, quand ils nous montrent chaque ordre de bienheureux au ciel s’unissant durant la nuit sacrée aux actions de grâces et prières de la terre (Liber specialis gratiae, ubi supra). Nous empruntons les textes qui suivent aux Bréviaires concordants d’Aberdeen et de Salisbury.

Antiennes

  1. Ant. Soyez-nous favorable, Dieu unique, tout-puissant, Père, Fils, Esprit-Saint.
  2. Ant. Comme le lis entre les épines, ainsi entre les autres est ma bien-aimée.
  3. Ant. Louons le Seigneur que louent les Anges, que Chérubins et Séraphins proclament Saint, Saint, Saint, à l’envi.

4 Ant. Entre les fils des femmes, il n’y en a point eu de plus grand que Jean-Baptiste.

  1. Ant. Soyez forts dans la guerre, et combattez avec l’ancien serpent, et vous recevrez le royaume éternel. Alléluia.
  2. Ant. Ce sont là les Saints qui, pour l’amour de Dieu, ont méprisé les menaces des hommes ; saints Martyrs ils tressaillent avec les Anges dans le royaume éternel ; oh ! qu’elle est précieuse la mort des Saints qui toujours se tiennent devant le Seigneur et ne sont point séparés les uns des autres !
  3. Ant. Ceignez vos reins, tenez en mains des lampes allumées : soyez semblables à des hommes qui attendent leur maître à son retour des noces.
  4. Ant. Saintes Vierges de Dieu, priez pour nous : puissions-nous mériter de recevoir par vous le pardon de nos crimes.
  5. Ant. Louez notre Dieu, tous ses Saints et vous qui le craignez, petits et grands ; car il règne notre Seigneur Dieu tout-puissant : réjouissons-nous et tressaillons, rendons- lui gloire.

Repons

  1. R/. À la Trinité souveraine, au Dieu simple, Père, Fils et Saint-Esprit : divinité unique, gloire égale, coéternelle majesté ; * Tout l’univers obéit à ses lois. V/. Qu’elle daigne nous octroyer sa grâce la bienheureuse divinité du Père, du Fils, de l’Esprit conjointement adoré. * Tout l’univers obéit à ses lois.
  2. R/. Vous êtes heureuse, sainte Vierge Marie ; vous êtes digne de toute louange ; * Car c’est de vous qu’est né le Soleil de justice, le Christ notre Dieu. V/. Priez pour le peuple, intervenez pour les clercs, intercédez pour les femmes vouées à Dieu, que tous ceux-là éprouvent votre secours qui célèbrent cette fête véritablement vôtre. * Car c’est de vous.
  3. R/. Seigneur saint, tous les Anges vous célèbrent dans les hauteurs, et ils disent : * À vous conviennent * Honneur et louange, Seigneur. V/. Saint vous proclament Chérubins et Séraphins, et tous les chœurs célestes chantent : * À vous conviennent. Gloire au Père. * Honneur et louange.
  4. R/. Entre les fils des femmes, il n’y en a point eu de plus grand que Jean-Baptiste : Qui prépara la voie du Seigneur au désert. V/. Il y eut un homme envoyé par Dieu, dont le nom était Jean. * Qui prépara.
  5. R/. Voici les hommes apostoliques, les familiers de Dieu ; ils se présentent : * Portant la lumière, éclairant la patrie ; ils viennent donner la paix aux nations et délivrer le peuple du Seigneur, V/. Écoutez la prière des suppliants implorant le don de la vie éternelle, vous qui portez en vos mains les gerbes de vos œuvres justes et vous présentez aujourd’hui dans la joie. * Portant.
  6. R/. Ô louable constance des Martyrs ! ô charité inex­tin­guible ! ô invincible patience ! sous les coups des persécu­teurs, elle semblait ne mériter que mépris : * Elle trouvera louange et gloire et honneur, * Au temps de la récompense. V/. Aussi implorons-nous l’appui de leurs pieux mérites, à cette heure où les honore le Père qui est aux cieux. * Elle trouvera. Gloire au Père. * Au temps.
  7. R/. Ceignez vos reins, tenez en mains des lampes allumées : * Soyez semblables à des hommes qui attendent leur maître à son retour des noces. V/. Veillez donc ; car vous ne savez à quelle heure votre Maître doit venir. * Soyez semblables.
  8. R/. J’ai entendu une voix venant du ciel : Venez, toutes, Vierges très sages ; * Tenez l’huile en vos vases pour quand l’Époux viendra. V/. Au milieu de la nuit, un cri s’est élevé : Voici l’Époux ! * Tenez l’huile.
  9. R/. Seigneur, nous vous en supplions, remettez-nous nos fautes ; et par l’intercession des Saints dont nous célébrons la fête en ce jour, * Accordez-nous dévotion telle * Que nous méritions d’être admis dans leurs rangs. V/. Que leurs mérites soient notre secours dans les difficultés provenant de nos crimes ; nos actes nous accusent, puisse nous excuser leur prière ; et vous qui leur avez donné au ciel la palme de victoire, ne nous refusez pas le pardon du péché. * Accordez-nous. Gloire au Père. * Que nous méritions.

Les Grecs honorent comme nous dans une fête commune « tous les Saints de tous les pays de la terre, Asie, Libye, Europe, Septentrion ou Midi (Pentecostarion, in Dominica Sanctorum omnium). » Mais tandis que l’Occident fixe aux derniers jours de l’année une solennité qui représente, à ses yeux, la rentrée des fruits dans les celliers du Père de famille, l’Orient la célèbre au dimanche qui suit la Pentecôte, en ce printemps de l’Église où, sous l’action des eaux jaillissantes de l’Esprit, la sainteté fit partout germer ses fleurs (Leon. Philosoph. Oratio 15, In univer­sas terras Sanctos universos). Il en était ainsi dès le 4e siècle ; c’est en ce premier dimanche après la Pentecôte, fête aujourd’hui de la Très Sainte Trinité pour nous Latins, que saint Jean Chrysostome prononça son discours en l’honneur de « tous les saints Martyrs ayant souffert dans le monde entier (Chrys. Opera 2, 711). »

On le sait : l’origine première de la Toussaint fut de même en notre Occident cette commémoration générale des Martyrs, que d’autres Églises d’Orient placèrent au vendredi de l’Octave de Pâques (Calendaria Syrorum et Chald.) ; heureuse pensée, qui associait la confession des témoins du Christ au triomphe remporté sur la mort par Celui dont la confession divine, sous Ponce Pilate (1 Tim. 6, 2-3), avait devant les bourreaux été leur exemple et leur force. Ainsi faisait du reste primitivement Rome même, en rattachant à la première quinzaine de mai sa mémoire solennelle des Martyrs ; ainsi fait-elle encore, en réservant aux seuls Martyrs, conjointement avec les Apôtres, l’honneur d’un Office spécial pour la durée du Temps pascal entier.

Nous emprunterons les quelques traits qui suivent à l’Office grec du Dimanche de tous les Saints.

In magno vespertino

Les disciples du Seigneur, instruments de l’Esprit, ont répan­du par l’univers entier l’évangélique semence d’où germèrent les Martyrs qui prient pour nos âmes.

Vous êtes le soutien de l’Église, la perfection de l’Évangile, chœur divin des Martyrs ; en vous se justifient les paroles du Sauveur. Car les portes de l’enfer, béantes contre l’Église, ont été par vous fermées ; votre sang qui coulait a mis à sec les libations idolâtriques ; la plénitude des croyants naquit de votre immolation. Admirés des Anges, le front ceint du diadème, vous vous tenez devant Dieu : sans fin priez-le pour nos âmes.

Fidèles, venez tous ; célébrons par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels la solennelle mémoire de tous les Saints : voici qu’elle vient à nous chargée des plus riches dons. Crions donc, et disons : Salut, assemblée des Prophètes qui annonçâtes l’arrivée du Christ au monde, et vîtes comme présent ce qui était loin encore. Salut, chœur des Apôtres, pêcheurs d’hommes qui sûtes jeter le filet sur les nations. Salut, armée des Martyrs : rassemblés des confins de la terre en l’unique foi, vous avez pour elle subi affronts et tortures, vous avez brillamment triomphé dans l’arène. Salut, ruche des Pères qui, le corps réduit par l’ascèse et mortifiant la chair et ses passions, avez muni vos âmes des ailes du divin amour, l’emportant jusqu’au ciel ; vous partagez maintenant l’allégresse des Anges, l’éternel bonheur est à vous. Mais, ô Prophètes, ô Apôtres, ô Martyrs, ô Ascètes, priez avec instance Celui qui vous a couronnés de nous sauver des ennemis invisibles ou visibles

Salut, Saints et Justes ; salut, auguste chœur des Saintes. Près du Christ, intercédez pour le monde : qu’il donne au prince la victoire sur les barbares, et à nos âmes sa grande miséricorde.

À la messe

Aux calendes de novembre, c’est le même empressement qu’à la Noël pour assister au Sacrifice en l’honneur des Saints, disent les anciens documents relatifs à ce jour (Lectiones antiquae Breviarii Romani ad hanc diem. Hittorp. Ordo rom.). Si générale que fût la fête, et en raison même de son universalité, n’était-elle pas la joie spéciale de tous, l’honneur aussi des familles chrétiennes ? Saintement fières de ceux dont elles se transmettaient de générations en générations les vertus, la gloire au ciel de ces ancêtres ignorés du monde les ennoblissait à leurs yeux par-dessus toute illustration de la terre.

Mais la foi vive de ces temps voyait encore en cette fête une occasion de réparer les négligences, volontaires ou forcées, dont le culte des bienheureux inscrits au calendrier public avait souffert au cours de l’année. Dans la bulle fameuse Transiturus de hoc mundo, où il établit la fête du Corps du Seigneur, Urbain IV mentionne la part qu’eut ce dernier motif à l’institution plus ancienne de la Toussaint ; et le Pontife exprime l’espoir que la nouvelle solennité vaudra une même compensation des distractions et tiédeurs annuelles au divin Sacrement, où réside Celui qui est la couronne de tous les Saints et leur gloire (Cap. Si Dominum, De Reliqu. et Veneratione Sanctorum, Clementin. 3, 16).

L’Antienne d’Introït rappelle aujourd’hui celle de l’Assomption de Notre-Dame. Cette fête est bien la suite, en effet, du triomphe de Marie : comme l’Ascension du Fils avait appelé l’Assomption de la Mère, toutes deux réclamaient pour complément l’universelle glorification des élus de cette race humaine qui donne au ciel sa Reine et son Roi. Joie donc sur la terre, qui continue si grande­ment de donner son fruit (Psalm. 66, 7) ! Joie parmi les Anges, qui voient se combler les vides de leurs chœurs ! Joie, dit le Verset, à tous les bienheureux, objet des chants de la terre et du ciel !

Introït

Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, et faisons fête en l’honneur de tous les Saints ; de leur solennité se réjouissent les Anges, et ils louent à l’envi le Fils de Dieu. Ps. Justes, tressaillez dans le Seigneur ; la louange convient aux cœurs droits. Gloire au Père. Réjouissons-nous.

Mais nous pécheurs, et toujours exilés, c’est avant tout de la miséricorde que nous devons prendre souci en toute circonstance, en toute fête. Ayons cependant bon espoir, aujourd’hui que tant d’intercesseurs la demandent pour nous. Si la prière d’un habitant du ciel est puissante, que n’obtiendra pas le ciel tout entier ?

Collecte

Dieu tout-puissant et éternel, qui nous donnez de célébrer dans une seule solennité les mérites de tous vos Saints ; nous vous en supplions : daignez octroyer à tant d’intercesseurs priant ensemble pour nous l’objet de notre désir, une miséricorde surabondante. Par Jésus-Christ.

Épître
Lecture du livre de l’Apocalypse du bienheureux Jean, Apôtre. Chap. 7

En ces jours-là, moi Jean, je vis un autre Ange qui montait à l’Orient ; il portait le signe du Dieu vivant, et il cria d’une voix forte aux quatre Anges investis de la mission de frapper la terre et la mer, disant : Ne frappez pas la terre et la mer, ni les arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu. Et j’entendis le nombre de ceux qui avaient été marqués ; ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des enfants d’Israël, à savoir : de la tribu de Juda, marqués douze mille ; de la tribu de Ruben, marqués douze mille ; de la tribu de Gad, marqués douze mille ; de la tribu d’Aser, marqués douze mille ; de la tribu de Nephthali, marqués douze mille ; de la tribu de Manassé, marqués douze mille ; de la tribu de Siméon, marqués douze mille ; de la tribu de Lévi, marqués douze mille ; de la tribu d’Issachar, marqués douze mille ; de la tribu de Zabulon, marqués douze mille ; de la tribu de Joseph, marqués douze mille ; de la tribu de Benjamin, marqués douze mille. Ensuite, je vis une grande multitude que nul ne pouvait compter de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue ; elle se tenait devant le trône, et en présence de l’Agneau, vêtue de robes blanches, des palmes à la main ; de ses rangs s’élevait une acclamation puissante : Gloire à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l’Agneau ! Et tous les Anges se tenaient debout autour du trône, et des vieillards, et des quatre animaux ; et ils se prosternèrent devant le trône, et ils adorèrent Dieu, disant : Amen ; bénédiction, gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance, force à notre Dieu dans les siècles des siècles ! Amen.

Une première fois, aux jours de son premier avènement, l’Homme-Dieu, se servant pour cela de César Auguste, avait dénombré la terre (s. Luc 2, 1) : il convenait qu’au début de la rédemption, fût relevé officiellement l’état du monde. Et maintenant, l’heure a sonné d’un autre recensement, qui doit consigner au livre de vie le résultat des opérations du salut.

« Pourquoi ce dénombrement du monde au moment de la naissance du Seigneur, dit saint Grégoire en l’une des Homélies de Noël, si ce n’est pour nous faire comprendre que dans la chair apparaissait Celui qui devait enregistrer les élus dans l’éternité (Lectio 7 in Nocte Natal. Domini ; ex Homil. 8, in Ev.) ? » Mais plusieurs s’étant soustraits par leur faute au bénéfice du premier recensement, qui comprenait tous les hommes dans le rachat du Dieu Sauveur, il en fallait un deuxième et définitif, qui retranchât de l’universalité du précédent les coupables. Qu’ils soient rayés du livre des vivants ; leur place n’est point avec les justes (Psalm. 68, 29) : c’est la parole du Prophète-roi que rappelle au même lieu le saint Pape.

Toute à l’allégresse cependant, l’Église en ce jour ne considère que les élus ; comme c’est d’eux seuls qu’il est question dans le relevé solennel où nous venons de voir aboutir les annales de l’humanité. Eux seuls, par le fait, comptent devant Dieu ; les réprouvés ne sont que le déchet d’un monde où seule la sainteté répond aux avances du Créateur, aux mises de l’amour infini. Sachons prêter nos âmes à la frappe divine qui doit les conformer à l’effigie du Fils unique (Rom. 8, 29), et nous marquer pour le trésor de Dieu. Quiconque se dérobe à l’empreinte sacrée, n’évitera point celle de la bête (Apoc. 13, 16) ; au jour où les Anges arrêteront le règlement de compte éternel, toute pièce non susceptible d’être portée à l’actif divin ira d’elle-même à la fournaise, où brûleront sans fin les scories (Ibid. 14, 11).

Vivons donc dans la crainte recommandée au graduel : non celle de l’esclave, qui n’appréhende que le châtiment ; mais la crainte filiale qui redoute par-dessus tout de déplaire à Celui de qui nous viennent tous les biens, dont la bonté mérite tout amour. Sans rien perdre de leur béatitude, sans diminuer leur amour, les Puissances angéliques (Praefat. Missae) et tous les bienheureux se prosternent au ciel en un saint tremblement, sous le regard de l’auguste et trois fois redoutable Majesté.

Graduel

Craignez Dieu, tous ses Saints ; car rien ne manque à ceux qui le craignent. V/. Ceux qui cherchent le Seigneur auront à jamais tous les biens. Alléluia, alléluia. V/. Venez à moi, vous tous qui peinez et succombez sous le fardeau ; et je vous soulagerai. Alléluia.

Évangile
La suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 5

En ce temps-là, Jésus voyant la foule monta sur une montagne, et lorsqu’il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui. Et ouvrant sa bouche, il les enseignait, disant : Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. Bienheureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre. Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. Bienheureux les purs de cœur, parce qu’ils verront Dieu. Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Bienheureux êtes-vous quand on vous maudit, quand on vous persécute, quand on dit faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi : réjouissez-vous et tressaillez, parce que votre récompense est grande dans les cieux.

Si proche du ciel est aujourd’hui la terre, qu’une même pensée de félicité emplit les cœurs. L’Ami, l’Époux, le divin Frère des fils d’Adam revient lui-même s’asseoir au milieu d’eux et parler de bonheur. Venez à moi, vous tous qui peinez et souffrez, chantait tout à l’heure le verset de l’Alleluia, cet écho fortuné de la patrie, qui pourtant nous rappelait notre exil. Et aussitôt, en l’Évangile, est apparue la grâce et la bénignité de notre Dieu Sauveur (Tit. 2, 11 ; 3, 4). Écoutons-le nous enseigner les voies de la bienheureuse espérance (lbid. 2, 12-13), les délices saintes, à la fois garantie, avant-goût, du bonheur absolu des cieux.

Au Sinaï, Jéhovah, tenant le Juif à distance, n’avait pour lui que préceptes et menaces de mort. Au sommet de cette autre montagne où s’est assis le Fils de Dieu, combien différemment se promulgue la loi d’amour ! Les huit Béatitudes ont pris en tête du Testament nouveau la place qu’occupait, comme préface de l’ancien, le Décalogue gravé sur la pierre.

Non qu’elles suppriment les commandements ; mais leur justice surabondante va plus loin que toutes prescriptions. C’est de son Cœur que Jésus les produit, pour les imprimer, mieux que sur le roc, au cœur de son peuple. Elles sont tout le portrait du Fils de l’homme, le résumé de sa vie rédemptrice. Regardez donc, et agissez selon le modèle qui se révèle à vous sur la montagne (Exod. 25, 40 ; Héb. 8, 5).

La pauvreté fut bien le premier trait du Dieu de Bethlehem ; et qui donc apparut plus doux que l’enfant de Marie ? qui pleura pour plus nobles causes, dans la crèche où déjà il expiait nos crimes, apaisait son Père ? Les affamés de justice, les miséricor­dieux, les purs de cœur, les pacifiques : où trouveront-ils qu’en lui l’incomparable exemplaire, jamais atteint, imitable toujours ? Jusqu’à cette mort, qui fait de lui l’auguste coryphée des persé­cutés pour la justice ! suprême béatitude d’ici-bas, en laquelle plus qu’en toutes se complaît la Sagesse incarnée, y revenant, la détaillant, pour finir avec elle aujourd’hui comme en un chant d’extase !

L’Église n’eut point d’autre idéal ; à la suite de l’Époux, son his­toire aux divers âges ne fut que l’écho prolongé des Béatitudes. Comprenons, nous aussi ; pour la félicité de notre vie sur terre, en attendant l’éternel bonheur, suivons le Seigneur et l’Église.

Les Béatitudes évangéliques élèvent l’homme au-dessus des tourments, au-dessus même de la mort, qui n’ébranle pas la paix des justes, mais la consomme. C’est ce que chante l’Offertoire, dans ces lignes empruntées au livre de la Sagesse.

Offertoire

Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et les tour­ments des méchants ne les atteindront pas : aux yeux des in­sensés, ils ont paru mourir ; mais ils sont dans la paix.

Comme l’exprime la Secrète, le Sacrifice auquel il nous est donné de prendre part glorifie Dieu, honore les Saints, et nous concilie la bonté suprême.

Secrète

Nous vous offrons les dons de notre dévotion, Seigneur : puissent-ils vous agréer pour l’honneur qu’en recueillent tous vos Saints ; puissent-ils nous devenir salutaires en votre miséricorde. Par Jésus-Christ.

Écho de la lecture évangélique, l’Antienne de Communion, ne pouvant énumérer à nouveau la série entière des Béatitudes, rap­pelle les trois dernières, et, ce faisant, les rapproche toutes avec raison du Sacrement divin où elles s’alimentent.

Communion

Bienheureux les purs de cœur, parce qu’ils verront Dieu ; bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés en­fants de Dieu ; bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux.

L’Église demande, en la Postcommunion, que cette fête de tous les Saints ait comme résultat de porter ses fils à les honorer tou­jours, pour toujours aussi bénéficier de leur crédit près de Dieu.

Postcommunion

Seigneur, exaucez notre prière ; puissent les peuples fidèles placer leur joie toujours dans le culte de tous les Saints, tou­jours aussi sentir la protection puissante de leur intercession. Par Jésus-Christ.

Aux secondes vêpres

Les secondes Vêpres de la fête sont semblables aux premières, à l’exception du dernier psaume, du verset de l’hymne et de l’antienne de Magnificat. Voici ce psaume, qui met en la bouche des Saints un sublime résumé de leur vie de foi et d’épreuves ici-bas, de reconnaissance et de louange éternelle aux cieux.

Psaume 115

J’ai cru : c’est pourquoi j’ai parlé, malgré l’excès d’humiliation où j’étais réduit.

J’ai dit dans mon trouble : Il n’est point d’homme qui ne soit trompeur.

Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il a répan­dus sur moi ?

Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Sei­gneur.

En présence de son peuple, j’acquitterai mes vœux au Sei­gneur : aux yeux, du Seigneur, la mort de ses Saints est pré­cieuse.

Ô Seigneur ! je suis votre serviteur ; oui, je le suis, et le fils de votre servante.

Vous avez brisé mes liens ; je vous offrirai un sacrifice de louange, et j’invoquerai le nom du Seigneur.

J’acquitterai mes vœux au Seigneur, en présence de tout son peuple, dans les parvis de la maison du Seigneur, au milieu de toi, ô Jérusalem !

V/. Les Saints tressailliront dans la gloire. R/. Ils seront dans la joie sur leurs couches d’honneur.

Antienne de Magnificat

Ô que glorieux est le royaume où avec le Christ se réjouissent tous les Saints, où, vêtus de robes blanches, ils suivent l’Agneau partout où il va !

Un sentiment d’ineffable complaisance, de désir résigné, respire en cette Antienne, qui clôt la solennité des Saints. Mais la journée n’est pas terminée pour l’Église. À peine a-t-elle salué ses glorieux fils, disparaissant dans leurs robes blanches à la suite de l’Agneau, que l’innombrable foule des âmes souffrantes l’entoure aux portes des cieux ; et elle ne songe plus qu’à leur prêter sa voix et son cœur. L’éclatante parure qui lui rappelait le blanc vêtement des bienheureux fait place aux couleurs du deuil ; les ornements, les fleurs de ses autels, ont disparu ; l’orgue se tait ; le glas des cloches semble la plainte des trépassés. Aux Vêpres de la Tous­saint succèdent sans transition les Vêpres des morts[1].

[1] – Ces vêpres ne se disent plus depuis la réforme de Pie XII.