Description de la charité
par Mgr Lefebvre

Pour la Quinquagésime, voici deux conférences spirituelles que Mgr Lefebvre donna sur la charité en février 1976. Elles furent motivées par des disputes peu amènes entre libéraux et « sédévacantistes », et elles s’élèvent au-dessus de ce niveau pour faire comprendre ce qu’est vraiment la charité. En entendant cette description de la charité, nous avions le sentiment que Mgr Lefebvre faisait, sans s’en rendre compte, son portrait.

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Je voudrais vous relire ce chapitre qui est unique en son genre, ce chapitre de saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens au chapitre 13ème. Saint Paul décrit ce que doit être la charité.

Car je crois que s’il y a une vertu que vous devez pratiquer c’est la charité envers Dieu d’abord bien sûr, la charité par la prière, par la louange, l’offrande du saint sacrifice de la messe, par l’eucharistie, par les sacrements, et par l’union à Notre-Seigneur d’une manière habituelle.

Mais je pense que saint Paul dans cette description insiste surtout sur la charité fraternelle, et par conséquent cette description de la charité s’applique parfaitement à une communauté comme la vôtre, au séminaire. Et il va très loin, si on appliquait réellement ce que saint Paul dit au sujet de cette vertu de la charité, eh bien, le séminaire serait un paradis.

Une vertu virile

D’ailleurs, on se trompe souvent au sujet de la notion de charité. On prend facilement la charité pour une vertu moins virile que la vertu de vérité, car il y a une vertu de vérité. Et c’est une erreur, d’abord parce que la charité, si on peut dire, si on peut l’exprimer ainsi, c’est en quelque sorte la vertu divine, la vertu de Dieu, la vertu essentielle de Dieu, l’essence même de Dieu, Dieu est charité. Alors est-ce que Dieu n’aurait pas cette vertu de force, cette vertu de virilité si on peut dire et serait faible parce qu’il est essentiellement charité ? La charité est une vertu qui est excessivement exigeante. Ce n’est pas une vertu qui nous permet d’en prendre et d’en laisser. La meilleure preuve c’est qu’elle consiste essentiellement dans la loi de charité, elle est la loi si l’on peut dire de la Trinité, et par conséquent la loi de tous les êtres quels qu’ils soient, parce que tous les êtres, même les êtres matériels sont une image de Dieu et si Dieu est charité, tout est charité. Et cette charité s’exprime par les lois, par une loi qui est l’expression d’une tendance mise par Dieu dans les choses, dans les créatures. St Thomas donne, définit l’homme dans les premières questions de la Somme théologique, il dit qu’est-ce qui est l’essentiel de l’homme, c’est de « tendre vers Dieu ». Donc cette loi profonde qui est inscrite dans le cœur de l’homme, qui est inscrite dans la nature humaine de tendre vers Dieu c’est précisément la charité. De même que les trois Personnes de la Trinité tendent, si l’on peut dire, l’une vers l’autre et cette tension est un tel détachement d’elles-mêmes et un tel renoncement à elles-mêmes qu’elles ne forment plus qu’une unité, une unité qui est la charité. La charité est le terme qui explique le mieux la Sainte Trinité.

Nécessité de la charité

Et donc, si nous voulons imiter la Très Sainte Trinité, si nous voulons être vraiment conformes à la nature, à la grâce que le Bon Dieu nous donne, nous devons nous efforcer d’entrer en plein dans la charité, mais pas d’une manière quelconque. Pas de la manière dont nous, nous voulons pratiquer la charité, mais de la manière dont le Bon Dieu nous demande de la pratiquer. Or, si on lit ce chapitre de saint Paul, on s’aperçoit alors qu’il faut faire vraiment beaucoup d’efforts pour pratiquer la charité telle que l’Écriture nous le demande.

Si je parle les langues des hommes et celles des anges, mais que je n’ai pas la charité, je suis un airain qui sonne et une cymbale qui retentit. » Non seulement la langue des hommes, mais celle des anges. Par conséquent ce n’est pas les belles paroles que l’on peut dire, les expressions que nous pouvons avoir, le langage que nous tenons qui est nécessairement l’expression de la charité, même si on arrive par là, je dirais, à colorer un peu notre égoïsme par des paroles charitables, par des paroles aimables, par des paroles louangeuses, que sais-je…

« Si j’ai le don de prophétie et que je connaisse tous les mystères et toute la science et si j’ai toute la foi ». Même la foi ! Énumérer cela, c’est énorme. « Si j’ai le don de prophétie, que je connaisse tous les mystères… » Dieu sait s’il y en a des mystères en Dieu, dans la nature, partout, en nous… « Et toute la science… » la science humaine et la science divine. « Et si j’ai toute la foi… » La foi c’est la science surnaturelle, c’est la science de Dieu, c’est la science théologique, c’est ce que vous apprenez dans vos études. Si vous avez toute la foi « au point de transporter les montagnes, mais que je n’ai pas la charité, je ne suis rien » ; je ne suis rien, rien. Si j’ai toute la foi, une foi à transporter les montagnes, je ne suis rien si je n’ai pas la charité.

Ces affirmations de saint Paul sont très graves, parce qu’il montre que, sans la grâce, tout ce qu’on peut faire de bien, même des choses extraordinaires, cela ne nous sert de rien. C’est infructueux, on n’a pas de mérites. Et c’est le cas de bien des gens qui sont dans les autres religions, les religions fausses, qui et qui peuvent éventuellement faire des actes de charité. On ne nie pas qu’il puisse y avoir quelque chose de bon de fait par ceux qui n’ont pas la grâce, mais ça ne vaut pas, ça ne vaut rien au point de vue mérite, absolument rien. Peut-être le Bon Dieu peut en tenir compte pour donner des grâces actuelles, des grâces actuelles qui se transformeront ensuite et donneront la conversion et donneront ensuite la grâce, la grâce sanctifiante. Mais en soi ça ne donne rien, rien, rien, rien. « Je ne suis rien ».

« Et si je distribue tout ce qui m’appartient et si je livre mon corps pour être brûlé, mais que je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » Donc si nous n’avons pas la grâce de Dieu en nous, si nous n’avons pas cette charité surnaturelle que le Bon Dieu nous donne par la grâce, par l’infusion de la grâce, tout cela ne nous sert de rien.

Ce que la charité évite

Et qu’est-ce donc alors que la charité, comment s’exprime-t-elle, enfin, quelles sont ses manifestations ? Comment peut-on savoir qu’on a la charité ? « La charité est longanime », le latin dit « Caritas patiens est », la charité est patiente. « La charité est bénigne », on dirait, elle est condescendante. Tout cela pourrait paraître à première vue comme une espèce de faiblesse, cette charité. Non, parce que la charité va loin, je dirai, elle voit les choses profondément, elle ne les voit pas seulement à la surface, à la superficie, mais profondément. Alors elle ne s’inquiète pas de difficultés passagères, elle est longanime, c’est à dire que, la longanimité est la patience dans l’effort, la patience dans les relations, dans les difficultés, elle reste égale à elle-même.

Elle est bénigne, en ce sens je pense, qu’elle écoute volontiers tout ce qui n’ont pas d’intérêt pour elle ou qui peuvent lui être désagréable, lui être pénibles. Elle est bénigne, elle a cette condescendance d’écouter, d’attendre en écoutant, de savoir écouter, de savoir recevoir les difficultés, les souffrances des autres, savoir les partager, elle est bénigne.

« La charité n’est pas envieuse ». Donc même si elle reconnaît que d’autres ont des qualités qu’elle n’a pas, eh bien, elle n’est pas jalouse de ces dons et elle ne les envie pas d’une manière désordonnée. Elle peut envier d’avoir la même vertu, mais des dons des personnes par exemple qui sont très intelligentes, des personnes très savantes, des personnes très éloquents, que sais-je, moi… des dons qu’on peut ne pas avoir et qu’on n’aura probablement jamais, eh bien ça ne rend pas envieux, cela ne donne pas envie de critiquer ces personnes pour les diminuer en quelque sorte, parce qu’on éprouve un sentiment d’infériorité, et ce sentiment d’infériorité nous pousse à vouloir diminuer les autres pour les mettre à égalité, et même quelquefois pour les considérer comme inférieurs à nous. La charité n’est pas envieuse. « La charité n’est pas envieuse », donc.

« Non agit perperam », on traduit « elle n’est pas fanfaronne » c’est-à-dire elle ne s’agite pas. Pas d’action extérieure pour de l’action, pour montrer qu’elle fait quelque chose, pour manifester une certaine activité, pour se faire voir, enfin quelque chose de vanité. La charité agit à bon escient quand le Bon Dieu le demande, quand elle se rend compte que c’est la volonté de Dieu d’agir, mais elle n’agit pas pour se manifester. « Non agit perperam. »

« Non inflatur ». Elle n’est pas orgueilleuse… « Non inflatur », c’est encore plus expressif : elle ne s’enfle pas ; encore, là, elle ne cherche pas à en remontrer aux autres et à manifester inutilement les dons qu’elle peut avoir. Elle ne cherche pas à dominer les autres.

« Non est ambitiosa », elle n’est pas ambitieuse. Donc elle ne recherche pas les postes élevés ou les distinctions particulières, même si en fait elle est capable de les recevoir, même s’il est juste qu’elle les reçoive, mais elle ne les recherche pas. Elle n’a pas d’ambition.

« Non quærit quæ sua sunt », elle est contraire à l’égoïsme, ça c’est vraiment la définition de la charité : « Non quærit quæ sua sunt », « elle ne cherche pas son avantage, » elle ne cherche pas son intérêt propre, elle ne cherche pas l’égoïsme, elle cherche l’intérêt de Dieu, dans toute son activité elle cherche l’intérêt de Dieu, donc de Dieu ou de son prochain, mais pas son propre intérêt, purement son propre intérêt. Ca peut… C’est son intérêt de le faire, c’est son intérêt de chercher les intérêts de Dieu, c’est notre intérêt, c’est l’intérêt du salut de nos âmes et donc c’est notre intérêt de servir Dieu, mais elle ne le cherche pas comme son propre intérêt. Elle le sait, elle sait que c’est le salut de son âme, mais la charité ne cherche pas uniquement pour son propre plaisir, pour son propre avantage, pour son propre égoïsme ou pour elle-même, ça parce que la charité « est diffusivum sui », comme le dit saint Thomas. C’est-à-dire que la charité a besoin de se donner, de se donner. La charité, c’est synonyme dans une certaine manière de donner la vie. Quand saint Pierre parle aux Juifs après que les Juifs ont crucifié Notre-Seigneur, il dit : « Auctor vitæ interfecistis », « vous avez tué l’auteur de la vie » l’auteur de la vie. Évidemment, ils ont tué l’auteur de la vie, comment pouvaient-ils tuer l’auteur de la vie, ils l’ont tué apparemment et il est ressuscité, il ne pouvait pas perdre la vie, puisqu’il est l’auteur de la vie, auteur de toute vie et c’est précisément cela qui donne aussi l’autorité de Dieu. On a l’autorité dans la mesure où l’on donne la vie et dans la vie, que ce soit la vie naturelle, la vie surnaturelle et donc la charité ne cherche pas son propre bien, mais cherche le bien des autres.

« Elle ne s’irrite pas » « non irritatur ». Bah, ce n’est pas toujours facile. Il y a tellement d’occasions de s’irriter et de se mettre en colère, n’est-ce pas ou dans l’indignation. Il y a de bonnes indignations, il y a de bonnes colères. Notre-Seigneur s’est mis en colère, il y a de bonnes colères, de saintes colères contre les vendeurs du temple qui n’étaient pas là à leur place, mais c’était… Autre chose est « non irritatur » c’est-à-dire ne s’irrite pas pour rien, ne n’est pas constamment dans une espèce d’état d’agacement et d’amertume et de euh de colère intérieure vis à vis de tout ce qui se passe autour d’elle.

« Non cogitat malum, elle ne pense pas à mal. » C’est encore une manifestation de la charité qui n’est pas facile. La charité ne fait pas de jugement téméraire. Et cela c’est une des choses les plus graves dans la vie de communauté : les jugements téméraires, de prêter à ses confrères, de prêter à ceux avec qui l’on vit des jugements qu’ils n’ont pas. Leur prêter des jugements qu’ils n’ont pas, c’est grave cela vous savez, c’est grave et c’est souvent la raison d’une froideur après, et même d’une inimitié qui se met parfois entre des gens qui vivent ensemble. Ils sont blessés profondément de penser qu’on a pu leur prêter telle ou telle idée, qu’ils n’avaient pas. Et ça c’est toujours très grave. Alors « non cogitat malum », la charité ne pense pas à mal. Si elle le constate après coup, alors elle est obligée de le voir, si c’est évident, si par les actions c’est clair. Mais elle n’aura pas l’idée avant cela de prêter aux autres le mal, qu’ils font le mal. Et ceci est très très important dans l’apostolat, très important. Cette qualité de la charité attire beaucoup les âmes et je dirais que, même à supposer que les âmes aient mal pensé, et qu’on leur prête une bonne pensée, il n’y a rien de tel pour les convertir au bien. Rien de tel pour les convertir, et pour les attirer. Au contraire le jugement téméraire… Il n’y a rien de tel que le jugement téméraire pour éloigner les gens. Alors on pourra dire que c’est de la naïveté quelquefois, on prêtera de la naïveté, on dira : il est bien naïf de croire que ces gens-là ne font etc… Mieux vaut être naïf que de penser à mal. Je me souviens qu’un jour j’étais dans les rues de Rennes et un brave homme, une personne m’accoste, j’avais bien vu qu’il y avait bien un petit quelque chose qui n’était pas tout à fait normal dans son attitude et dans sa manière de se présenter. Mais enfin… Il demande l’aumône, alors ma foi je cherche quelque chose, pas grand chose, je n’allais pas donner une fortune, mais enfin, j’ai sorti mon porte-monnaie pour lui faire l’aumône. Une personne se précipite sur moi : « Mais il ne faut pas lui donner, vous voyez bien, il va encore se précipiter et puis il va boire avec ça ». J’ai dit « Écoutez, ça, ça ne dépend plus de moi ! » Eh, éh, éh, éh !!! Moi je ne lui prête pas de mauvaises intentions, c’est possible qu’il se précipite au café pour aller boire encore un petit coup !!! Cela ne fait rien, alors ça le regarde. « Non cogitat malum, »

« Non gaudet super iniquitatem, elle ne se réjouit pas du mal. » Elle ne se réjouit pas de voir quelqu’un qui tombe dans le péché ou qui fait quelque chose qui n’est pas bien. Cette manière de dire : Moi, je ne ferai pas cela ; lui, il tombe, bien fait pour lui. Il est beaucoup moins bien que moi, moi, je suis beaucoup plus fort que lui. On ne se réjouit pas sur le mal. La charité ne se réjouit pas du mal, elle compatit au mal, et essaye de sortir l’âme du péché et par conséquent on priera pour celui qui fait mal, pour celui qui tombe dans le péché, pour celui qui s’égare, mais elle ne se réjouit pas de quelqu’un qui s’égare, qui se trompe.

Ce que fait la charité

Saint Paul nous dit en terminant les qualités qu’il énumère de cette vertu : « omnia suffert » et d’abord « congaudet veritati. » « La charité ne se réjouit pas sur l’iniquité, mais au contraire pour la vérité ». Comme le désir de manifester l’amitié à quelqu’un est précisément de le mettre dans la vérité, de lui faire du bien, comme le dit St Thomas. St Thomas, n’est-ce pas, exprime la définition de la charité, la définition de l’amitié c’est de reconnaître ce qu’il y a de Dieu dans les autres, et les porter à Dieu ; la double manifestation de l’amitié : reconnaître ce qu’il y a de Dieu en eux, donc tout ce qui est bien en eux, tout ce qui peut être bien en eux, le péché ne venant pas de Dieu, donc ne pas aimer dans les autres ce qui les éloigne de Dieu, leurs péchés, et tout ce qu’il y a en eux qui ne vient pas de Dieu, qui les détourne de Dieu. Et manifester l’amitié envers les autres c’est les porter à Dieu. Et donc encourager ce qui en eux vient de Dieu. Et je dirais, décourager ce qui ne vient pas de Dieu, et réprimander ce qui ne vient pas de Dieu. Or, précisément la vérité est bien Dieu lui-même, donc s’il y a une chose que nous devons souhaiter, c’est que les gens soient dans la vérité. Et se réjouir de voir ceux qui partagent la vérité, cette vérité qui consiste en tout dans la révélation que le Bon Dieu nous a faite, donc l’adhésion à la révélation de Dieu, adhésion de notre intelligence par la foi à tout ce que le Bon Dieu nous a révélé et par le fait même à tout ce que l’Église nous enseigne, donc au magistère de l’Église qui est concrétisé, si on peut dire, dans le catéchisme, dans le catéchisme du concile de Trente et tous les catéchismes qui ont suivi. Car ces catéchismes résument la révélation qui nous est donnée non seulement par la Sainte Écriture, car c’est une certaine déviation que de croire que toute la vérité nous est donnée par la Sainte Écriture, la vérité nous est donnée non seulement par la Sainte Écriture, mais aussi par la tradition. Et la tradition qui nous vient d’ailleurs des apôtres. Si la révélation est terminée avec le dernier des apôtres, ça ne veut pas dire que ce soit la révélation qui se trouve uniquement dans l’Évangile. Les apôtres ont enseigné, ont enseigné, et même des choses qu’ils n’ont pas nécessairement écrites donc il y avait déjà une tradition jusqu’à la mort du dernier des apôtres. Et cette tradition, cet ensemble qui est formé par la tradition et la Sainte Écriture tout cela avec le magistère de l’Église qui a donc défini, exprimé d’une manière authentique ce qui était contenu dans la révélation, justement l’interprétation de l’Écriture et ce qui était contenu dans la tradition finit par donner ce livre merveilleux qui est le catéchisme. Le catéchisme dans lequel se trouve résumée et exprimée la vérité, la vérité que le Bon Dieu nous enseigne. Dans la mesure où on s’éloigne de ce, de cet enseignement, l’enseignement du catéchisme, dans cette mesure là aussi on s’éloigne de Dieu.

« Omnia suffert, la charité supporte tout. » Supporte tout… Bien sûr qu’il faut toujours interpréter les choses telles que l’Église peut nous les enseigner. Si la charité supporte toute chose, elle supporte toute chose pour elle-même comme sacrifice, elle supporte tous les outrages, les humiliations, les contradictions, elle les supporte en union avec Notre-Seigneur et en union avec la croix de Notre-Seigneur. C’est dans ce sens là comme Notre-Seigneur a tout souffert jusqu’à la mort pour donner son âme pour ceux qu’il aime. « Il n’y a pas de plus grand témoignage d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » a dit Notre-Seigneur, et je pense que c’est dans ce sens que saint Paul dit que la charité souffre tout, jusqu’à donner sa vie s’il le faut pour le salut des âmes et pour la gloire de Dieu.

« Omnia credit, elle croit tout. » Je pense que ce que veut dire saint Paul par là, c’est que le premier mouvement de la charité est de croire à ce que l’on dit, à ce que disent les autres. Ca rejoint un peu ce que je vous disais du jugement téméraire. Le premier mouvement est de penser que ce que peuvent dire les autres est exact et véridique et qu’ils ne nous trompent pas. Mais cela ne veut pas dire qu’on va jusqu’à croire des choses qui sont contraires à la foi, puisque justement, une ligne avant, saint Paul vient de dire qu’on se réjouit pour la vérité, donc on ne peut pas tout croire, même ce qui serait faux, bien sûr. Mais c’est la disposition, vous voyez, la disposition de l’âme, c’est cela, je crois, que veut décrire saint Paul, la disposition intérieure, disposition de croire volontiers, cela ne veut pas dire de crédulité dans le mauvais sens du mot, cette crédulité des âmes simples qui à la fois s’attachent volontiers à ce que l’on dit, les prêtres peuvent les enseigner, mais qui alors parfois tombent dans une crédulité excessive pour tout ce qui leur est annoncé de droite de gauche par des messages, par des visions, que sais-je… Alors là on tombe dans une véritable fausse crédulité, n’est-ce pas, crédulité excessive. Là il faut être, évidemment, très très prudent.

« Omnia sperat, elle espère tout. » Malgré toutes les difficultés, tous les obstacles, toutes les contradictions, la charité espère toujours. Pourquoi ? Parce que la vraie charité met son espoir en Dieu, met son espoir en celui en qui se trouve la source de tous les biens, et par conséquent d’une certaine manière, saint Paul dit que la charité ne peut pas être confondue. « Speravi, non confundar in æternum » disons-nous dans le Te Deum. « En vous j’ai espéré, je ne serai jamais confondu, je ne serai jamais trompé. » Eh bien, c’est cela aussi, « omnia sperat, elle espère tout, » voulant le bien, voulant la vérité, voulant le bien des autres et le bien de Dieu, on peut dire, la gloire de Dieu, la charité espère et elle a raison d’espérer parce qu’elle est sûre, elle est certaine que son espérance sera accomplie, sinon immédiatement, au moins dans un temps futur. Mais ça viendra.

« Omnia sustinet, elle supporte tout. » Je crois que c’est dans le sens d’un certain optimisme si l’on peut dire : elle encourage tout. La charité encourage tout – tout ce qui est bien, évidemment, toujours, tout ce qui tend à la vérité au bien. La charité, son premier mouvement c’est d’encourager si on voit quelqu’un qui a de bons sentiments, qui a le désir de bien faire, le premier mouvement c’est d’encourager. Quitte après si on s’aperçoit que ce premier mouvement n’est pas toujours très bien orienté, à essayer de l’orienter convenablement, mais le premier mouvement est non pas de décourager, mais au contraire d’encourager. On pourrait dire la charité est toujours optimiste. Elle n’est pas pessimiste, toujours pour la même raison : parce que la charité se fie en Dieu, c’est Dieu qui est sa force, c’est Dieu qui est son appui, alors tout ce qu’elle trouve de bien la charité l’encourage. Tout ce qu’elle trouve de bon, tout ce qu’elle trouve de conforme à la volonté de Dieu, à la bonté. Toutes ces dispositions de la charité qui sont merveilleuses, qui sont excellentes, et qui facilitent énormément la vie de communauté et la vie en société.

Elle s’acquiert par la pénitence et le sacrifice

Mais il faut ne pas oublier que cette charité ne s’acquiert plus désormais sans sacrifice. Prêcher par exemple une retraite entièrement sur l’amour, la charité, sans donner, je dirai, l’aspect de sacrifice qui est nécessaire pour l’accomplissement de la charité, ce serait incomplet, ce serait inexact. On peut prêcher une retraite uniquement sur la charité, sur l’amour, mais il faudrait compléter cette vision de la charité par la voie qui y mène. Or, si on veut donner la voie qui mène à la charité, on ne peut pas, depuis le péché, depuis le péché originel, depuis que l’homme est pécheur et que le péché a été détruit, au moins en puissance par la Croix, on ne peut plus espérer retourner à la charité sans passer par le sacrifice, sans passer par la pénitence. De même que ce serait une erreur aussi, (ce n’est pas une erreur de prêcher la charité, mais n’insister que sur la charité sans donner l’aspect de la pénitence ce serait au moins incomplet, ce ne serait pas une erreur), de même que de prêcher que sur la pénitence, sans montrer que la pénitence n’est pas recherchée pour elle-même. On ne recherche pas la pénitence pour elle-même, la pénitence n’est pas un but, c’est un moyen, tandis que la charité est un but, c’est donc tout autre chose. Mais la charité, encore une fois, ne peut plus s’acquérir sans ce moyen de la pénitence. Pourquoi ? Parce que pour que nous devenions charité, pour que nous nous transformions en charité qui est la vie de Dieu, qui est la vie divine, – Dieu est charité – pour que nous nous transformions en cette charité qui est divine et qui nous est donnée par la grâce du Bon Dieu, nous devons nécessairement éloigner les obstacles qui sont en nous. Il y a des obstacles en nous qui existent, qui subsistent et nous avons beau faire, beau dire, ils existent, ils sont là depuis notre enfance, ils sont là depuis le péché originel. Donc il faut écarter ces obstacles, et l’écartement de ces obstacles produit en nous une pénitence, produit en nous un sacrifice. C’est comme, je dirai, un abcès qu’il faut ouvrir pour que la santé revienne et ce n’est pas possible autrement. Nous ne pouvons pas retourner à la charité sans pénitence, sans souffrance, sans mortification… C’est la voie par laquelle Notre-Seigneur a voulu que nous retrouvions la charité.

Et ceci est d’une très grande importance parce que, évidemment, la pénitence n’attire pas. Si la charité attire par elle-même, la croix, la pénitence, la souffrance, la mortification, sont des thèmes pas agréables à entendre. Bien qu’une âme qui vraiment désire la charité, qui désire s’unir à Notre-Seigneur Jésus-Christ, ait le désir de la souffrance aussi avec Notre-Seigneur. Je pense que toutes les âmes saintes ont toutes eu presque un amour de la souffrance, un amour de la pénitence, un amour de la croix, parce que Notre-Seigneur a souffert. Ne serait-ce que pour cette raison là. Je pense cela a du être très certainement ce qui a motivé les douleurs de la Sainte Vierge Marie qui, elle, n’avait pas de péché pourtant, qui était donc toute remplie du Saint-Esprit, elle était pleine du Saint-Esprit, donc pleine de la charité. Pleine de charité et, malgré tout, la Sainte Vierge a voulu souffrir, souffrir par connaturalité, si on peut dire, avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour ressembler davantage à Notre-Seigneur, son Fils, son divin Fils. Donc elle a accepté, elle a même désiré certainement la souffrance et s’unir à lui. Or, toutes les âmes saintes ont eu ce désir. Il est certain que cela n’est pas pour autant agréable en soi, ce n’est pas en soi qu’ils ont désiré la pénitence, mais c’est pour ressembler à Notre-Seigneur et pour arriver à laisser la place, à laisser en nous la place à la charité, c’est cela. Et ce mouvement est en nous, est absolument nécessaire.

C’est l’histoire de toute notre vie spirituelle, vous savez, il ne faut pas se faire d’illusion. Et, au début du carême qui va commencer dans quelques jours, et particulièrement pendant l’adoration des Quarante-Heures que vous allez avoir comme chaque année, je pense qu’il est excellent pour chacun d’entre nous de se demander où en est notre justification. Essayer de faire le point de notre vie spirituelle dans la mesure du possible. Tout cela est relatif, vous comprenez bien que tout cela est relatif. C’est Dieu qui peut faire le point exact de notre vie spirituelle, de notre vie surnaturelle, où en sommes-nous de notre justification ; c’est-à-dire de ce passage de notre état de pécheur, de ce passage de notre état de l’impiété si l’on peut dire, à la piété, de l’injustice à la justice, de la malice à la sainteté. Où en sommes-nous ? Est-ce que vraiment nous faisons des efforts ? Est-ce que vraiment nous recherchons à gravir les degrés de cette transformation qui s’appelle la justification. Justification : justum fieri, le juste c’est l’homme vrai, c’est l’homme simple, Joseph était un homme juste. Et saint Pierre dit aussi de Notre-Seigneur aux Juifs : « Vous avez tué le Juste », le juste, le juste. Pourquoi ? Parce que le juste est celui qui rend à chacune ce qui lui est dû, c’est la définition de la justice : « Cuique suum » à chacun ce qui lui est du. Et donc à Dieu ce qui lui est du, au prochain ce qui lui est du, et à nous-mêmes, c’est-à-dire à notre propre âme, ce qui lui est du aussi pour la sauver, tout ce qui lui est dû pour la sauver. Alors, rendons-nous vraiment à Dieu tout ce qui lui est dû ? Rendons-nous tous nos devoirs à Dieu, tous nos devoirs à notre prochain, tous nos devoirs à nous-mêmes pour sauver nos âmes ? Voilà ce que nous devons nous demander. Or il est bien certain que nous avons tous des imperfections, des défauts et des fautes, et, dans la mesure où nous ferons des efforts pour écarter les obstacles à la justice, à la charité, à la perfection, la grâce du Bon Dieu pourra agir davantage. Car ce n’est pas nous qui sommes véritablement la cause de la grâce. Nous pouvons être cause sur les dispositions à la grâce, par la grâce de Dieu encore, mais nous ne sommes pas capables par nous-mêmes de nous donner un degré de vie surnaturelle de plus, par nous-mêmes, simplement par nous-mêmes, il faut que cela vienne aussi de Dieu. Seul le Bon Dieu est cause véritablement de la vie surnaturelle. Mais le Bon Dieu voit nos efforts, voit nos dispositions et, par là même, voit notre prière, voit notre demande, notre désir, notre vif désir, et alors nous accorde ces grâces dont nous avons besoin.